[Albert] Les Talibans “moyennâgeux” ? Mais le Moyen-Âge était bien plus lumineux !
Depuis la prise de la capitale afghane par les Talibans, pas une journée ne se passe sans allusion aux « heures les plus sombres de notre Moyen Âge » pour qualifier la barbarie des maîtres de Kaboul. Notre dette à l’égard du Moyen-âge demeure pourtant immense, rappelle l’historien Jean-Marc Albert. Il a vu se dessiner cet assemblage hétéroclite de terres qu’on appela la France. Aucun domaine de la pensée, de la politique, de la science, des arts ou de la culture ne saurait s’affranchir de son legs. C’est sans doute pour cela qu’on veut en flétrir la mémoire. Par Jean-Marc Albert Publié le 12 septembre 2021 à 9h00 Mis à jour le 11 septembre 2021 à 17h12

Sévices corporels, femmes voilées… L’Afghanistan est régulièrement comparé — à tort — au Moyen-âge occidentalPhoto © Wali Sabawoon / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP Partager cet article sur
Depuis quelques semaines, Kaboul aurait transposé toutes les fictions apocalyptiques, de Game Of Thrones à La servante écarlate, dans son décor taliban. Et d’aucun de voir dans le rapport de cet islam aux femmes, à la violence et à la religion un terrible « retour au Moyen-Âge ». La réalité du drame afghan mérite toutefois mieux que ces analogies faciles. L’insulte « moyenâgeuse » — son emploi est rarement laudatif — dépasse le cas afghan pour désigner toute forme de violence, mais aussi tout évènement ou propos qui échapperaient à la rhétorique progressiste. Emmanuel Macron a cédé, il y a peu, à la comparaison médiévale pour désigner la mutation sociétale que nous serions en train de vivre. Depuis Jack Lang apostrophant les ténèbres pour leur signifier que la lumière socialiste allait les chasser, personne n’avait plus osé recourir à ce procédé douteux. Ces ressorts médiévaux tiennent d’une conception héritée du médiévalisme romantique d’un Michelet mêlant autant d’images naïves que de lieux communs sur l’obscurantisme religieux et la barbarie politique de ce millénaire. Oubliant que nous sommes plus près de Jeanne d’Arc qu’elle ne l’était de Clovis. Le Moyen Âge est ainsi convoqué sans nuance pour dénoncer une politique ou un adversaire et surtout affirmer la supériorité de notre modernité. Ce dénigrement récurrent d’une période si riche est aussi une manière de s’affranchir de l’héritage politique, spirituel, et culturel issu de la Chrétienté médiévale, une énième volonté de déconstruire le legs de ce millénaire fondateur de notre civilisation.
Au XVIe siècle, l’idée d’un effondrement après la chute de la “brillante” civilisation romaine
La mauvaise réputation du Moyen Âge tient au discours idéologique qui, depuis la Renaissance au nouveau monde macronien, s’évertue à l’enfermer dans un monde obscur dont le progrès nous aurait extirpés. Sa dénomination n’a d’abord rien de péjoratif et cherche juste à définir un âge du milieu comme on parlerait d’une « terre du milieu ». Media aetas revêt alors un sens religieux pour signifier un temps intermédiaire entre la Rédemption et le Jugement dernier. Sans contenu informatif précis, le Moyen Âge demeure donc un temps relatif, ouvert à toutes les interprétations. Lecteurs des auteurs antiques, les humanistes du XVIe siècle, Pétrarque en tête, en forgent alors le sens moderne. Ils suggèrent l’idée d’une décadence entamée après la chute de la « brillante » civilisation romaine qui aurait plongé l’humanité dans un temps de ténèbres, de crasse et d’ignorance. Un temps « ténébreux » heureusement rendu « par la bonté divine, (à) la lumière et dignité » se réjouit le père de Pantagruel. L’anticléricalisme sourd alors dans la vulgarisation du terme Moyen Âge, depuis les protestants brocardant « l’interminable nuit médiévale » à l’Essai sur les mœurs de Voltaire (1756). La Révolution